logo Adfields cooking

Une certaine idée de la cuisine française...

Par Périco Légasse - chroniqueur dans notre magazine "Itinéraires d'un gourmand"
(extrait du n°5 consacré au seul chef historique 3 étoiles à Tours, Charles Barrier. Photo fournie par la famille)

Que reste-t-il de Charles Barrier ? Un restaurant de Tours qui porte encore son nom, quelques disciples vénérant sa mémoire et d’anciens clients se souvenant des prodigieux instants de table partagés chez lui. Célèbre en son temps, il ne connut cependant pas la gloire que son talent phénoménal lui vaudrait aujourd’hui. Barrier était ce que l’on appelle un géant. Son exigence, ses passions, sa ferveur, et l’idée même qu’il se faisait de son métier, renforcées par une modestie liée à ses origines sociales, le détournaient des fanfaronnades médiatiques auxquelles la profession commençait à succomber. Ceux qui eurent la chance de l’approcher savent qu’il fut un concepteur hors normes et, avec son compère Jean Delaveyne, du Camélia, à Bougival, sans doute le cuisinier qui bouscula le plus les conventions culinaires.  Aucun rapport avec ce que l’on appela “la nouvelle cuisine”, dont l’évolution mal maîtrisée a fini par aboutir aux pitreries intellectuelles qui ridiculisent ou défigurent la gastronomie. Attentif aux évolutions de son époque, Barrier jeta les bases autour desquelles se reconstituent désormais les valeurs fondamentales du patrimoine culinaire français. Sans vraiment le savoir, de nombreux chefs, dont les deux leaders que sont Alain Ducasse et Joël Robuchon, se situent dans la continuité de l’esprit Barrier, que nous aimons résumer par une formule lapidaire : l’excellence dans la simplicité. 
  
Ayant ouvert son restaurant en 1945, à l’issue d’un conflit dont les restrictions alimentaires se prolongeraient encore quelques années, fort des enseignements acquis auprès de ses maîtres, Charles Barrier eut simplement le génie d’améliorer sans cesse ce qu’il savait faire le mieux : extraire la quintessence d’un rien. S’étant, au gré de ses virées dans la campagne tourangelle, tissé un réseau de petits producteurs pouvant lui fournir des victuailles sans prestige mais dotées de vertus magnifiques, il appliqua aux légumes du potager, aux volailles de la basse-cour, aux poissons de rivière, aux fruits du verger, les principes de la haute cuisine, celle qui recherche d’abord la pureté des saveurs et l’authenticité des origines. Il ne cherchait pas à donner du goût aux choses mais à respecter le goût des choses. Fût-ce une fève, une oreille de cochon, une ablette, une poule ou une pomme, vu leur provenance, vu leur qualité, elles ne pouvaient qu’en avoir. Non pas que le caviar, le foie gras, le homard et la truffe lui soient interdits, bien au contraire -ô combien il savait les sublimer-, mais il ne lui était tout bonnement pas nécessaire de s’enfermer dans le produit de luxe pour atteindre des sommets sensoriels. Montrant une sensibilité et une sagesse fidèles à ses racines paysannes, il tirait de chaque denrée, de chaque chair, une expression conforme à son terroir. Barrier cuisinait les paysages.

Il laisse en héritage à tous ceux pour qui la cuisine est le sacerdoce du goût juste, et non une course au trophée, le respect du produit, le culte du moment et de l’endroit. Le concept de la saison et du marché, celui du circuit court et du fait maison, leitmotiv de la restauration du XXIème siècle, c’est lui. Il les formula d’instinct dans le baraquement délabré de La Tranchée où il ouvrit son premier bistro après la guerre, avec à peine 70 ans d’avance. À l’heure où les egos étoilés explosent sous la toque, nous connaissons des vivants qui sont plus morts que lui...”
Share by: